Interview avec Patrick "TAD" Foulhoux
 Patrick Foulhoux fait partie de ces incontournables lorsque vous lisez un fanzine ou une revue rock en France. Sa plume a traîné dans tout canard qui se respecte. Activiste aussi au sein du label Spliff dans les années 90, il est revenu récemment dans la place avec son nouveau label Pyromane Records (Tockyo Sex Destruction, Stetson!...) et vient de sortir un abécédaire rock génialement intitulé Le fond de l'air effraie. Court mais riche entretien par mail avec le clermontois. 

 
  
D'où  te vient ce surnom de TAD ? Du groupe ?  
Ce surnom m’a été  donné par Pascal “Buck” Roussel, le chanteur des Real Cool  Killers il y a une vingtaine d’années. J’aime plus trop  entendre ce nom, ça me fait chier pour deux raisons, d’abord  parce que pour moi, c’est attaché à Buck justement et ensuite,  parce que j’ai un vrai nom et les surnoms m’emmerdent. C’est  aussi pour ces mêmes raisons que je continue à appeler Buck,  “Buck”. Pour l’emmerder. Il n’avait qu’à pas nous lâcher  cette grande saucisse. Buck m’a baptisé Tad parce qu’avec mon  groupe de l’époque dans lequel je chantais et je jouais de la  guitare, j’avais fait la une du quotidien régional avec une  grande photo de ma gueule à l’occasion de la fête de la musique,  ce que les Real Cool Killers déjà un peu connus à l’époque  n’avaient pas encore réussi à faire. Buck était jaloux. Il  disait en rigolant et pour m’astiquer : “C’est pas normal  qu’on mette des gros à la une !” et je lui répondais :  “Regarde Tad, il fait bien la une des magazines !”. Le groupe de  Tad Doyle était très en vue à l’époque. Et hop, ce grand serin  m’a surnommé le Tad clermontois et il a répandu ça partout. Ça,  pour les cancans, c’était pas le dernier ! C’était notre Joey  Ramone à nous ce bestiau, il me manque. Ça fait déjà quatorze  ans qu’il a disparu… J’avais monté un groupe mixte qui  s’appelait Sorry Wrong Number, ce couillon n’a rien trouvé de  mieux que nous surnommer les Souris rondes d’Ambert, vois le  boulot un peu. 
   
Tu  as monté Spliff Records en 86, qui a sorti les albums des Real Cool  Killers, Sixpack ou Sleazy Arse, comment l'aventure s'est-elle finie  ? 
Je n’ai pas monté Spliff, j’ai été enrôlé par Buck  et Gilbert en 89 / 90, je ne me souviens plus trop. Buck est mort en  97, on a continué le label avec Philippe Feydri, alors bassiste des  Real Cool Killers. On a fait deux ou trois disques de plus :  Sixpack, Sleazy Arse et Plainraw me semble-t-il après la  disparition de Buck. Mais sans Buck, il manquait l’âme du label  Spliff Records. On a donc délibérément précipité la fin en  organisant un mini-festival pour bouffer la grenouille et les  quelques sous qu’il restait sur le compte. On a quand même fait  jouer : Jets To Brazil, Euphone, Sleazy Arse, NRA, Bluetip, Aina,  Plainraw et je sais plus quoi, ça fait rêver aujourd’hui une  affiche pareille en France ! Spliff Records a cessé ses activités  en 99 je crois. Par contre, la boutique Spliff est toujours là,  elle fête ses trente ans cette année. 

 
   
Tu  as monté récemment un nouveau label Pyromane Records, joli nom,  joli logo et tu sembles te fixer une ligne directrice axée autour  du rock (Elektocution, Stetson!, Tockyo Sex Destruction...) 
Merci. On a monté ça à deux. C’était notre objectif de départ,  faire du rock qui avoine. Mais économiquement, ce n’est pas  viable. On a donc tenté d’autres pistes avec de l’électro pop  et un excellent groupe d’Angoulême, Hello Bye Bye. Mais c’est  une catastrophe, plus rien ne fonctionne. La réalité économique  est là ; où on vendait 800 disques il y a un an, on en vend 150  aujourd’hui. Alors qu’on en aurait vendu 2000 il y a trois ans.  L’industrie du disque est morte, c’est un fait avéré. Seuls  les groupes qui jouent arrivent encore à vendre un peu. Seulement  aujourd’hui, il n’y a plus que des salles institutionnelles qui  voient leurs financements publics réduire comme peau de chagrin vu  les restrictions budgétaires de l’état et donc, qui bétonnent  leur programmation d’artistes convenus sans prise de risque. Du  coup, les “petits” groupes dits “en développement” n’ont  plus accès à ces salles. Faire 15 concerts par an pour un groupe  aujourd’hui relève de l’exploit. Quand il n’y a plus de  concert, il n’y a plus de vente de disques. Selon moi, pour jouer,  on va voir se développer un nouveau réseau alternatif, comme  durant les années 80. A Clermont, nous avons le Raymond Bar et  l’Hôtel des Vils dans ce circuit, ce sont eux qui vont palier au  manque “à jouer”. Et là, pas question de courir après les  cachets pour l’intermittence, du coup, on va voir les “artistes”  qui en ont vraiment dans le ventre, il va y avoir une sélection  naturelle qui va s’opérer, seuls les plus sincères continueront  ! Ou alors, on va signer que des groupes punks prêts à jouer  n’importe où pour des cacahuètes, s’ils alignent 150 concerts  par an et qu’ils vendent 5 disques / concert, ça fera la maille.  On abandonnera l’édition musicale et les plans promo gigantesques  ! 
   
Pourquoi  avoir monté Pyromane et ne pas avoir relancé Spliff ? 
 Spliff sans Buck, impossible. Dans l’esprit, Pyromane est dans la  continuité de Spliff Records. C’est sur un plan structurel que ce  n’est pas pareil. Spliff était une association loi 1901, alors  que Pyromane est une société coopérative. On n’a pas les mêmes  contraintes. 
   
Tu  as fait partie de nombreux fanzines et magazines à vrai dire tu as  du toucher ou plutôt poser tes mots dans tous les canards rock du  pays. Que penses tu de la presse musicale actuelle ? Du fanzinat ? 
J’ai participé à beaucoup de publications en effet, en France et  un peu à l’étranger. Ma dernière carte de presse date de 2009.  Depuis, j’ai arrêté, je continue d’écrire un peu pour un  fanzine toulousain, Dig It, je fais un peu de télé locale et je  devrais reprendre du service avec Rock Sound. Je planche  actuellement sur une émission télé pour la saison prochaine. Ce  que je pense de la presse, c’est pas très reluisant. A partir de  l’an 2000 en gros, la presse manquant de lecteurs a maintenu son  activité en s’appuyant sur les annonceurs, les majors labels qui  prenaient des pleines pages de pub contre rédactionnel et donc, qui  ont mis la grappe sur les sommaires des magazines. Les années 2000  auront été catastrophiques pour la presse en général. Du coup,  comme les annonceurs allongeaient des budgets, on a vu fleurir des  dizaines de nouveaux titres qui se reposaient uniquement sur les  annonceurs qui voulaient encadrer les médias pour les avoir à leur  pogne. Vu que plus personne n’a d’argent, on a vu disparaître  énormément de titres en kiosque depuis. Ne reste que les plus  “professionnels” soutenus par des éditeurs aux reins solides,  encore que cette notion de solidité économique est mise à mal  dans toutes les disciplines de la presse, qu’elle soit politique,  sportive ou culturelle. Regarde la presse politique, laquelle tient  ? La presse d’opinion qui n’a pas fait allégeance au pouvoir  genre Le Canard Enchainé ou Marianne. Tu verras qu’après  l’éviction de Sarkozy en 2012, Le Figaro va prendre le contrecoup  de plein fouet. On se moquait de la Pravda sous Brejnev dans les les  années 70. C’est pire aujourd’hui en France avec Le Figaro,  TF1… Je te rassure, la presse de gauche bobo parisienne n’est  pas mieux lotie. Le Nouvel Obs, Libé ou Le Monde ont bien participé  à l’élection de Sarko en 2007 à leur façon, normal  qu’aujourd’hui, ils souffrent aussi. On ne se moque pas  impunément des lecteurs. Pour en revenir à la presse musicale,  elle s’est laissée abuser sans moufter, normal qu’aujourd’hui,  un titre peine à écouler 15 000 exemplaires pour les meilleurs  vendeurs. Voilà pourquoi Les Inrocks ont changé leur fusil  d’épaule en devenant programme télé hebdo et en traitant de  sujet bobos qui ne concernent que Le Marais à Paris ! Vu le retrait  des annonceurs, il y a de la place pour une presse qui va reprendre  en main sa ligne éditoriale. A la manière des Anglo-saxons qui  n’ont pas peur de casser un disque en face d’une pleine page de  pub de ce même disque. Du coup, on va revenir à des sommaires de  qualité… j’espère. New Noise est un peu l’exception, il  passe à travers les gouttes mais son mode de fonctionnement  s’apparente plus au fanzine qu’au magazine malgré une diffusion  en kiosque. A partir de 2000, avec la profusion de magazines, on a  vu plein de fanzineux passer directement à l’étape suivante de  façon hasardeuse. Le fanzinat a perdu en nombre et en qualité à  ce moment-là. Puis, avec l’avènement des webzines, on a vu  apparaître d’excellents titres sur la toile tenus par des gens  parfois issus d’écoles de journalisme doublés de passionnés de  musique. On est de nouveau dans une phase ascendante pour la presse  dite “alternative”, la seule qui vaille finalement. J’ai  toujours idée d’un vrai magazine de fous furieux, ça trotte dans  ma tête justement là… 

 
   
Le  fond de l'air effraie est sorti il y a peu, raconte moi d'où t'es  venue l'idée d'un abécédaire rock ? 
Au départ, c’est  une commande du fanzine Caf Zic de Mont de Marsan. Un abécédaire  comme ils en publient régulièrement dans leurs pages. Comme on  voulait diversifier l’activité de Pyromane vu l’effondrement  des ventes de disques, on s’est dit : “Publions ce petit essai  pour amorcer la pompe” puisqu’il était dans notre intention  d’éditer des livres, plus tard, pas encore. C’est l’occasion  qui a fait le larron.
 Joues  tu dans un groupe ou as tu joué dans un groupe ? 
J’ai joué  dans plusieurs groupes mais j’ai dû me rendre à l’évidence,  je laisse faire ceux qui savent faire. Ce serait bien qu’une  grande partie de ceux qui polluent nos antennes aient la même  réflexion ! Parce que putain, ce qu’il y a comme déchet la vache  ! On entend ces temps-ci des extraits du tribute à Alain Bashung  qui vient de sortir et qui sont régulièrement diffusés sur les  ondes. Mais bordel, ils sont tous aphones ! Asthmatiques ! Niveau  voix, je suis encore capable d’enfoncer 95 % de la production  actuelle après un peu de rééducation vocale. 
Je  ne connais pas vraiment Clermont, comment est la scène ? 
Elle est comme partout ailleurs, ni plus ni moins passionnante. On a  énormément de groupes parce qu’il y a une vraie volonté  politique au niveau régional et local, ça permet aux gens de  s’exprimer. Mais après, pour beaucoup, c’est “bonjour c’est  moi le groupe, je veux une salle super équipée pour une résidence  de trois jours, des locaux de répétition parfaitement équipés,  un tour bus pour tourner, le studio et le producteur qui va bien  pour mon premier album. Dès que j’ai ça, j’apprends à jouer  de la guitare !” J’exagère à peine. La difficulté de jouer,  les labels qui ne signent plus, ça va permettre d’écumer. Comme  je te disais tout à l’heure, on va vite voir les gens sincères.